
La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a autorisé le Gouvernement à aménager par ordonnances l’organisation, le fonctionnement et les délais applicables devant les juridictions et l’Administration. Ces ordonnances ont été adoptées le 25 mars 2020.
Nous faisons ici un point pratique sur ces mesures en particulier dans le domaine de la propriété intellectuelle, avec les conditions de prorogation des délais (1) et l’aménagement des procédures (2).
Pour anticiper des difficultés à respecter les délais légaux et contractuels, le gouvernement les a aménagés dans l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la « prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ». L’ordonnance 2020-304 complète ces règles pour les procédures des juridictions judiciaires civiles. La circulaire ministérielle du 26 mars 2020 vient préciser ces deux ordonnances.
1.1 Quels sont les actes concernés par les prorogations ?
Tous les types d’actes soumis à délai ou à sanction sont listés : « Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication, prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque » (article 1er de l’ordonnance 2020-306).
Cet article vise aussi « tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit ».
L’objectif est que les sanctions liées à l’écoulement du temps, comme la prescription, ou les délais de procédure, ne s’appliquent pas.
En pratique pour le juridictionnel, ceci comprend tous les actes pouvant avoir des conséquences procédurales ou permettant la défense ou la conservation de vos droits, en première instance, appel et cassation et devant toutes les instances judiciaires en matière civile : l’introduction d’une action en justice (notamment après une saisie-contrefaçon), l’introduction d’un appel/recours contre une décision, les délais pour conclure en appel ou en cassation, etc.
Attention, la circulaire ministérielle du 26 mars 2020 précise que les « délais impartis par le juge » ne sont pas concernés, même si le juge peut décider de leur prorogation. Il existe ainsi un flou sur le sort de ces délais, puisqu’en matière de propriété intellectuelle, l’activité juridictionnelle est actuellement suspendue. Les délais fixés par le Juge ou le Conseiller de la Mise en Etat (pour conclure, clôturer le dossier ou plaider) ne sont donc techniquement pas prorogés, mais il faut supposer un réaménagement raisonnable à la réouverture des audiences.
En pratique devant l’INPI, sont concernées les actions et formalités soumises à un délai de recevabilité : procédures d’opposition, démarches de renouvellement ou de maintien en vigueur d’un titre de propriété industrielle (paiement des annuités d’un brevet, renouvellement d’une marque, d’un dessin ou modèles, etc.)1.
Tous les actes inclus dans la période détaillée ci-dessous pourront donc bénéficier d’une prorogation.
circulaire ministérielle du 26 mars 2020, instaure une « période juridiquement protégée ». Les actes qui auraient dû être effectués pendant cette période sont reportés.
Il est donc essentiel de connaître les bornes de cet intervalle de temps :
2. La loi du 23 mars 2020 ayant déclaré l’état d’urgence sanitaire à compter du 24 mars (jour de publication de la loi), pour une période de 2 mois, cet état d’urgence se termine en principe le 24 mai 2020. L’ordonnance étend encore d’1 mois la période d’applicabilité, dont la fin est donc fixée pour l’instant au 24 juin 2020.
1.3 Comment fonctionnent les prorogations de délai ?
De façon sibylline, l’ordonnance annonce que tout acte devant être accompli pendant cette période « sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois » (article 2).
En clair, il faut distinguer 4 cas de figure selon la date à laquelle l’acte devait être accompli et retenir le 24 juin3 comme le nouveau point de départ de tous les délais prorogés.
3. Le texte de l’ordonnance et de la circulaire n’étant pas extrêmement clairs sur le point de départ des nouveaux délais, nous retenons à titre de prudence la date du 24 juin 2020.
1er cas : le délai de l’acte expirait au 11 mars, soit avant la période protégée. Attention, cet acte ne bénéficie d’aucune prorogation.
2ème cas : le délai a expiré/va expirer pendant la période de protection et est inférieur à 2 mois.
Ce délai est inactif jusqu’au 24 juin. A partir de cette date, l’ensemble du délai initial recommencera à courir. Par exemple, pour un délai d’1 mois devant expirer le 7 avril, l’acte pourra être accompli jusqu’au 24 juillet 2020 (1 mois à compter du 25 juin).
3ème cas : le délai a expiré/va expirer pendant la période et il est supérieur à 2 mois.
Ce délai est inactif jusqu’au 24 juin. A partir de cette date, le délai initial4 recommencera à courir, mais sans dépasser 2 mois. Ainsi, pour un délai de 3 mois devant expirer au 7 avril, l’acte pourra être accompli jusqu’au 24 août 2020 (2 mois à compter du 24 juin).
4ème cas : le délai expire après la période de protection
Attention, ce délai reste inchangé. Il faut rester très vigilant sur les délais expirant à compter du 24 juin 2020, qui ne font pas l’objet de prorogation.
Dispositions particulières :
A noter aussi, les règles classiques de computation des délais continuent de s’appliquer : les délais expirant un samedi, dimanche, jour férié ou chômé, sont prorogés au premier jour ouvrable.
En conclusion, l’idée est de bénéficier d’une durée plutôt large après la période de protection (qui rajoute déjà 1 mois à la fin de l’état d’urgence). Les délais plutôt courts (délais d’appel d’1 mois ou de 15 jours par ex.) recommencent intégralement et les délais longs (délai pour signifier les conclusions d’appel) se limitent à 2 mois.
À noter que l’INPI, qui a dématérialisé ses procédures et dont les équipes traitent les demandes en télétravail, encourage à poursuivre les démarches durant la période d’urgence sanitaire, pour limiter ses risques d’engorgement.
4. L’ordonnance, précisée par la circulaire ministérielle du 26 mars 2020, pose une interruption et non pas une suspension : les délais concernés recommenceront à courir intégralement, sans prise en compte du temps déjà écoulé avant l’interruption.
1.4 Quid des délais contractuels ?
Le champ d’application : là encore, l’objectif est de ne pas pénaliser les parties qui n’auront pas été en mesure d’exécuter leur obligation. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un blanc-seing pour l’inexécution contractuelle, et seules certaines sanctions contractuelles sont concernées par une prorogation.
Attention, les obligations de paiement ne sont pas concernées, il faut donc impérativement continuer à les respecter. Il en est de même pour les délais de livraison.
Attention, les délais expirant avant le 12 mars et après le 24 juin ne sont pas modifiés.
Les effets de la prorogation sont différenciés :
Naturellement, ces délais peuvent évoluer en cas d’extension de la période d’urgence sanitaire.
5. Par exemple, pour un débiteur qui avait jusqu’au 9 mars pour exécuter son obligation, sous peine d’astreinte de 100 € par jour, l’astreinte aura couru sur 3 jours et reprendra son cours qu’à compter du 24 juin (sans oublier les 3 jours-300€ déjà acquis).
1.5 Suspension des délais s’appliquant aux administrations
Les établissements publics, tels que l’INPI, bénéficient d’une suspension des délais auxquels ils sont tenus pour rendre une décision, examiner un dossier ou solliciter une régularisation. Les délais en vertu desquels une décision de rejet ou d’acceptation peut naître dans le silence de l’administration sont également concernés.
En pratique, tout départ d’un délai qui devait intervenir à compter du 12 mars est reporté jusqu’au 24 juin et tout délai non expiré au 12 mars 2020 est suspendu jusqu’au 24 juin.
Attention, il s’agit ici d’une suspension, et non d’une interruption : un délai qui avait commencé à courir avant le 12 mars ne recommencera pas à courir intégralement le 24 juin, mais seulement pour la durée qui lui restait à courir au jour de sa suspension.
Par exemple, si l’INPI était tenu de rendre une décision d’opposition le 22 mars 2020, ce délai est suspendu à compter du 12 mars. Il reprendra le 24 juin pour s’achever le 4 juillet. Idem en matière, par exemple, de rejet de marque, d’un certificat complémentaire de protection ou de limitation d’un brevet.
L’ordonnance 2020-304 prévoit un certain nombre de mesures d’adaptation :
Attention, en cas d’assignation en référé, la juridiction peut rejeter la demande de façon simplifiée : avant l’audience, par ordonnance non contradictoire (susceptible d’appel ou de pourvoi), si la demande est irrecevable ou s’il n’y a pas lieu à référé. Il faut donc avoir un dossier extrêmement solide à présenter en référé, sous peine d’un rejet expéditif.
L’ordonnance prévoit également une simplification des moyens de communication :
En pratique, pour les dossiers au fond devant la 3ème chambre spécialisée en propriété intellectuelle du Tribunal Judiciaire de Paris et devant le Pôle 5 de la Cour d’appel, le fonctionnement juridictionnel est actuellement suspendu. Les phases de mise en état des affaires sont donc à l’arrêt, les plaidoiries prévues avant confinement ne se tiennent pas et les délibérés sont également suspendus.
Il est néanmoins souhaitable qu’en coordination avec leurs clients, lorsque cela est possible, les avocats fassent avancer les dossiers pendant cette période, afin d’éviter un engorgement massif lors de la reprise d’activité.